(...) De la leçon de Delacroix, sur laquelle ce siècle a vécu, que restera-t-il demain? M. Pierre Girieud, artisan d'une renaissance de l'esprit classique, compte parmi les admirateurs clairvoyants du Maître. Il est pleinement d'accord avec M. René Piot sur la nature de la leçon nouvelle qu'offre encore, à la peinture, l'un de ses plus grand maître. Réponse de Pierre Girieud : "L'ironie des choses fait que nous allons fêter Eugène Delacroix à l'occasion du Centenaire du Romantisme. Ceux qui déchiffrent malaisement sa pensée dans son oeuvre peinte ont lu avec étonnement dans son journal que son art lui paraissait fort éloigné des doctrines romantiques. Amaury-Duval confirme ce fait en rapportant une conversation qu'il eut avec Delacroix; en assistant à un concert de Berlioz, il lui disait : "On m'a souvent comparé à lui, mais je n'ai mérité ni cet excès d'honneur, ni cette indignité."
Ses contemporains ont confondu la fougue naturelle d'un tempérament exceptionnel avec une volonté désordonnée. La coupole de la Bibliothèque du Sénat, à mon avis son oeuvre la plus complète, permet d'affirmer qu'il est l'égal des plus grands artistes de la Renaissance, non seulement de Tintoret dont il évoque le souvenir, mais de Raphaël même.
Les principes de l'ordre : hiérarchie, subordination, convenances, sont les plus belles vertus de ses compositions (il est inutile de parler du peintre sur lequel aujourd'hui, tout le monde est d'accord).
Si paradoxal que cela paraisse, les décorateurs du XIX° siècles, de Chasseriau à Puvis de Chavannes et jusqu'à nos jours, à Maurice Denis, ont médité sa leçon. C'est lui en effet, qui a su à nouveau mettre en honneur le grand sentiment émotif dans le décor mural, ce que négligeaient les Le Brun et ses successeurs qui, ayant mal compris les Italiens et Rubens, ne songeaient qu'à l'agencement des lignes et des couleurs.
Il dépasse singulièrement le Romantisme; mais, puisque cette occasion nous est offerte, fêtons notre plus grand peintre français."
Reproduction de l'Eloge à la Beauté nue p.330 |