Que l'art prenne en cet instant une dimension nouvelle, je ne le crois pas; et pourtant, qu'il évolue, je le crois. L'abus, que par les procédés de l'imitation, on a fait, en ces dernières années, de la vision impressionniste a déterminé une réaction légitime, et qui commence à se préciser, en faveur du caractère et du style, trop longtemps oubliés. Je suis particulièrement persuadé que l'imagination va reprendre ses droits. On s'étonne déjà du mépris singulier où la tinrent nos aînés : il la considéraient comme une faculté purement littéraire, alors qu'elle est la force universellement créatrice, et à tort l'abandonnaient aux pauvres gens de l'Ecole.
Aussi pensais-je que l'impressionnisme aura bientôt vécu. Il n'est plus que l'exploitation d'une formule au lieu de correspondre à l'expression d'un sentiment. De l'annotation des apparences fugitives les Monet et les Sisley ont tiré tout ce que l'on pouvait tirer. Mais rarement un effort d'art demeure improductif. Pour moi, les peintres ne doivent pas s'obstiner à rester des ouvriers spécialisés dans leur travail technique : ils pourront donc s'inspirer de cet amour du métier, à nous légué par l'impressionnisme, non plus pour fixer des impressions passagères, mais pour éclairer du reflet d'un moment le caractère éternel des choses.
Whistler et Fantin, l'un avec plus d'aristocratie artiste, l'autre plus assujetti à l'enseignement des maîtres, nous ont montré ce qu'il y a d'exquise intimité, de mélancolie tendre et affinée sous les réticences apparentes des sentiments modernes. Ils nous ont fait voir, le premier surtout, qu'on pouvait élever jusqu'au grand style, les gestes sobres, sans noblesse dramatique, de nos contemporains.
Bien notamment profonde et durable sera l'influence de Gauguin qui, remontant hardiment aux sources primitives, a traduit, avec une volonté souveraine, en harmonies décoratives, des composition du plus haut style où triomphe en une synthèse panthéiste la vie luxuriante de la nature.
Tout près de cet artiste prodigieusement conscient apparaît cet intuitif admirable : Cézanne. A force de sincérité, et par l'intensité de son émotion, Cézanne a senti la beauté qui se dégage des formes, et, sans les corriger, sans les arranger, selon la fantaisie arbitraire, et du reste admirable, d'un Poussin, il a exprimé la fierté tacite et le style naturel des choses. Il doit rester un isolé. Ses élèves ne pourraient que suppléer par la plus vaine habileté manuelle une vision toute personnelle et qu'il est impossible de réduire en formule. Les maîtres auxquels je pense le plus souvent sont les hiératistes orientaux; le primitifs; l'Angelico, Botticelli et Titien parmi les anciens; Delacroix, Ingres et Gauguin parmi les modernes.
Je n'attends pas tout de la nature. Je vois en elle un dictionnaire - selon une parole célèbre - une source intarissable d'émotion. Elle nous les offre pêle-mêle; il nous appartient de les coordonner, de les synthétiser par la ligne et la couleur. C'est à l'historien de l'art d'apprécier la part d'intuition et la part de conscience que nous mettons dans notre oeuvre. |