La tête de Pierre Girieud, lorsqu'on le voit dans son grand atelier de la rue Lauriston ou même si on le rencontre dans un salon de peinture appelle tout naturellement la robe du moine.
Sous un crane découvert que des cheveux se relevant légèrement en arrière entourent une couronne, la face apparaît entièrement glabre, avec des modelés arrondis, des yeux vif, un teint bruni de méridional. On imagine le "frère" Girieud, les mains dans les manches de son froc, en promenade méditative autour d'un rustique monastère provençal, et en contemplation devant un groupe de cyprès semblant attachés ensemble la colline aux molles ondulations, et l'azur du ciel. Mais on se représente tout aussi bien le peintre, vêtu de la toge romaine ou grecque, couronné de roses, et buvant dans une coupe précieuse le vin cher à Horace, cependant qu'il regarde avec enchantement les seins nus d'une courtisane, que Petrone pourrait lui disputer.
Car il y a dans la personnalité et dans l'œuvre de Pierre Girieud un savoureux mélange de mysticisme et de volupté, mais d'une volupté qui comporte toujours une jouissance esthétique. C'est que de la terre de Provence tout comme du sol d'Italie ont jailli les colonnades harmonieuses des temples dédiés à Apollon et à Vénus, de même que des élans de foi des primitifs vers Dieu.
Girieud, originaire des Basses-Alpes, habita dès l'enfance Marseille et, dans la grande cité méditerranéenne, le boulevard de Longchamp.
A dix ans, élève au Lycée et sentant déjà l'agiter le démon de l'art, il fait l'école buissonnière.
"Comment se résoudre à regagner les salles closes, quand le soleil rend brûlantes les dalles du Vieux-Port, quand on peut, gamin nu parmi les carènes et dans l'eau d'émeraude, au pied de la Tourette ou du Pharo, réaliser inconsciemment les indolentes délices d'un Joseph Vernet".
C'est l'écrivain Robert Rey qui excuse ainsi en poète, dans la préface d'un album, le jeune écolier Pierre Girieud.
Celui-ci n'oubliera d'ailleurs jamais Marseille qui lui a donné ses premières émotions d'artiste. Il a gardé un culte à la grande ville ensoleillée. Marseille dans le souvenir du peintre, nostalgique au milieu des brumes de Paris, devient le symbole de la lumière et le symbole de la clarté latine. Aussi vers 1912, rejoint-il à d'autres peintres marseillais: Camoin, Alfred Lombard, Verdilhan Mathieu, à des poètes: Joachim Gasquet et Xavier de Magallon, tous également épris de culture méditerranéenne, pour organiser à Marseille une exposition de peinture dans les ateliers de Lombard, quai Rive-Neuve. Et Girieud loue lui-même, sur le même quai, un atelier à côté de son ami Lombard dont il est resté pendant plusieurs lustres le voisin dans la capitale parisienne. A l'époque de ce retour à Marseille, Pierre Girieud a déjà conquis à Paris un commencement de réputation, non sans s'être courageusement lancé dans la lutte. Le peintre s'était fixé dans la grande cité des arts avec le début du siècle. On le retrouvait alors, aussi barbu que chevelu, dans les salles du Musée du Louvre, où il marquait de longues stations devant les tableaux de Poussin, et dans divers cénacles artistiques, au Collège d'Esthétique moderne ou à la Crèche naturiste.
Cette femme perspicace qui a joué le rôle d'une sorte de Providence dans la destinée de plus d'un débutant dans la peinture, Berthe Weill, a abrité dans sa galerie une des premières expositions de Girieud où il s'est manifesté aux côtés de Maillol, Launay, du céramiste Durrio.
Il s'est mis en relief peu après aux Indépendants avec une grande composition éclatante de coloris, la Tentation de Saint-Antoine, et surtout deux ans plus tard, au Salon d'Automne, avec son Hommage à Gauguin, composition plus imposante encore et dans quoi le maître de Tahiti occupe le centre d'une sorte de Cène où l'entourent des femmes maories, à la vénusté bronzée, et ses disciples fervents. Car Pierre Girieud partage alors les idées de Paul Gauguin, tout en exprimant son propre tempéremment.
L'hommage à Gauguin, d'un réel lyrisme, dans la couleur et l'inspiration, a rallié à son auteur des défenseurs convaincus, Huc et Malpel, ces deux derniers Toulousains.
Aux Salon d'Automne de 1908, 1912 et 1913, Girieud a envoyé des toiles décoratives Emotion devant la nature, les Trois Grâces, la Toilette de Vénus, lesquelles participent de la même manière et portent la marque de son originalité dans les attitudes recueillies des personnages aux formes allongées, dans la largeur et la pureté des tonalités réparties comme pour de grandes images.
Le séjour lumineux de Pierre Girieud à Marseille s'efface bientôt dans les horreurs de la grande guerre. Lorsque la paix ramène les manifestations automnales de la société de Franz-Jourdain, l'artiste a réfléchi, et son Eloge de la Beauté, un nu féminin étendu avec souplesse qu'un moine regarde, ressemblant à Girieud comme un frère, considère d'un œil énigmatique, renoue avec la tradition, non sans noblesse. (....) |