Fiche bibliographique

Berthaud P.L. - "Poitiers va s'enrichir d'une splendide décoration murale "
Poitiers---

-Poitiers
juin 1931
Contenu sur Girieud
D'ici quelques jours, le peintre Pierre Girieud va surveiller sur place, à Poitiers, le marouflage de la décoration murale que lui a commandée le gouvernement de la République, M. François-Poncet étant surintendant aux Beaux-Arts. Je vous dirai tout à l'heure combien ce travail, qui consiste à couvrir de peinture sur toile environ cent mètres carrés de murs, a été payé à l'artiste - ou plutôt le sera, car je ne pense pas que les artistes se fassent payer d'avance. Mais il faut d'abord indiquer l'importance de l'oeuvre. A l'occasion des fêtes projetées et dont personne ne parle, en l'honneur du cinquantième centenaire de notre Université poitevine, la salle du Conseil universitaire recevra une décoration digne de la haute et noble antiquité de la ville de Poitiers, de ses écoles, et du grand renom de ceux qui vinrent y instruire. Cette salle du Conseil, longue de douze mètres, large de sept, haute de quatre, abrite le traditionnel monument aux morts de l'Université. C'est elle qui est appelée à glorifier par la peinture une université vieille de cinq siècles, qui compta parmi ses nourrissons spirituels, Rabelais, Ronsard, du Bellay, Bacon, au temps de sa plus éclatante splendeur. Nul donc ne s'étonnera que le plus important des panneaux soit voué à la gloire de l'Université de Poitiers; Il est destiné à orner une muraille percée d'une porte, soit environ vingt-cinq mètres carrés. L'artiste, comme on peut le voir par le cliché ci-contre, a rassemblé, devant un paysage où se dispose les maîtresses beautés architecturales de la ville - Notre-Dame-La-Grande, le Baptistère, la cathédrale Saint-Pierre, l'église Sainte-Radegonde, - tous les personnages qui illustrèrent le Poitou depuis Saint-Hilaire et le poète Fortunat jusqu'à Charles VII. Au dessus de la porte, arborant la couronne murale, l'Université embrasse deux figures symboliques : le Passé, courbant le front sous le poids de l'expérience, et l'avenir scrutant le ciel d'un regard juvénile et audacieux. Face aux fenêtres par lesquelles cet asile de la science théorique prend jour sur l'air et la vie, Pierre Girieud avait à traiter un vaste panneau de douze mètres sur quatre : il a divisé cet espace - qui paraît immense - en quatre tableaux consacrés à chacune des Facultés que groupe l'Université; un tableau allégorique évoque chaque matière enseignée : le Droit, la Médecine, les Lettres et les Sciences. On en verra ci-contre, également la reproduction, Lycurgue et le Serment des Spartiates figure la législation qui faisait de Lacédémone, avant Rome, la cité la mieux policée de l'antiquité. Esculape à Epidaure nous ramène au temps où les premiers médecins penchés sur l'angoissant problème de la Matière, l'étudiant en plein jour, comme si la lumière du clair soleil de Grèce devait les aider à mieux voir le mystère de la chair. Homère et les bergers, charmant tableau agreste nous dit la poésie du Baladin inspiré par l'Héllade, enchantant par ineffable magie de son verbe tout un peuple de paysans. Enfin, plus sévère, Pythagore et son école, montre l'humanité déjà en progression de la fondamentale connaissance des Nombres, mère de tous les Arts. Chacune de ces pièces est, bien entendu, traitée dans le style qui convient, harmonisant sujet, formes et couleurs, si bien que l'ensemble présenté, le plus judicieux assemblage, au quel se complaisent à la fois l’œil et l'esprit. Pierre Girieud était, parmi tous les peintres contemporains, l'un des mieux désigné pour réaliser cette décoration murale qui va enrichir le déjà si riche patrimoine artistique de Poitiers.Certes, Pierre Girieud était surtout connu comme paysagiste; mais il est issu de cette Provence bénie de tous les Dieux, que la lumière a enfanté en souriant selon le mot de Mistral. Sous les jeux du soleil qui survole la splendeur de la vallée de la Durance, si chère aux poètes provençaux, il étudia longtemps son art, qu'il maîtrise aujourd'hui avec une incomparable autorité, avec une forte virilité faite d'un talent sensible, subtil et spontané tout ensemble. Classé dans les premiers rangs des contemporains aimé des écrivains dont il illustre les œuvres (la Librairie de France lui offrait récemment un banquet), Pierre Girieud, Provençal et donc Latin, portait en lui-même, héréditairement, les moyens de réaliser quelque chose de solide et de grand; la culture, en lui, vient appuyer les dons du peintre. Aussi! Il y a quelques jours lorsque, par une rare faveur, il a été admis à exposer à Paris, à l'Orangerie, ses toiles, ça a été un véritable triomphe dont nos confrères ont transmis les échos. Il y a quelques mois, j'ai vu dans son atelier parisien, la réalisation de ses projets dont je connaissais les maquettes : c'est vraiment une grande oeuvre dont il va doter Poitiers, qui a le droit d'être difficile, puisqu'elle possède déjà de nombreux et splendides Puvis de Chavannes. A côté de ces trésors, l'oeuvre de Pierre Girieud ne pâlira pas. Celle dont je viens de décrire si imparfaitement les majestueuses beautés, qui prolongent la grande ligne de la peinture décorative française, il l'a complétée par deux panneaux destinés aux dernières murailles. Le monuments aux morts se complétera de deux figures : La France victorieuse et La France douloureuse, admirablement adaptées à la solennité du lieu et du monument proche. Puis le long de l'autre panneau, coupé de fenêtres, huit niches en trompe-l’œil offriront les Vertus pédagogiques : la Foi, l'Abnégation, la Vocation, l'Etude, la Médecine, l'Invention, l’expérience et la Vérité. Ainsi se parfait une oeuvre telle, que Poitiers pourra s'enorgueillir de la montrer à ses courtisans. D'ici quelques jours, tout sera mis en place, marouflé, adapté, terminé sous l’œil vigilant - je ne dirai pas du Maître, car Pierre Girieud, maître en son art, est aussi peu pontife que possible, mais de l'artiste. Il trouvera d'ailleurs l'essentiel de son salaire dans la satisfaction d'avoir érigé un monument durable et magistral - car ce travail formidable qui requiert un talent hors pair, une richesse de conception et de réalisation unique, et en outre, un labeur matériel de plusieurs années, sera payé à l'artiste ...cinquante mille francs par l'Etat. Il importe de dire ces choses; voilà un ensemble qui défiera le temps et honorera toute une ville et qui sera payé cinq cents francs le mètre carré tous frais réglés - car tous sont à la charge de Pierre Girieud - il restera à l'artiste quelques centaines de francs. Pas plus. Avec quelle sincérité, le peintre a pu représenter la Foi, la Vocation, l'Invention, et l'Abnégation entre autres vertus - qui ne sont pas seulement pédagogiques!