Parmi la génération d'artistes à laquelle appartient Pierre Girieud, j'en vois bien peu dont l'oeuvre donne autant que la sienne l'impression de l'unité et de la continuité. L'on sent à l'étudier que celui qui en est l'artisan est armé de convictions inébranlables desquelles rie, pas plus le succès que l'insuccès, ne pourrait le détourner. (....)A part quelques impression normandes datées de 1904 et quelques paysages de Rome et de Venise, de Sienne et de San Giminiano exécutés en 1906 et 1907, toute l'oeuvre de Pierre Girieud est consacrée à célébrer les beautés de sa Provence. (....) Et peut-être encore, est-ce à ses séjours en Italie que Girieud doit d'avoir senti par contraste ou par analogie, le charme de ce pays natal, où il avait vécu jusqu'alors, qu'il aimait comme inconsciemment, et dont il allait bientôt s'intituler, exclusivement le peintre. Exclusivement. Car seule la nature provençale l'attire et l'exalte sans cesse et c'est avec une fraîcheur de sensibilité, une spontanéité d'exécution toujours nouvelles que chaque année, durant des mois, il revient planter son chevalet devant le visage de cette terre aimée des dieux, afin d'ajouter à l'hymne d'admiration et d'amour qu'il lui a dédié une strophe de plus, plus riche de sens et plus parfaite, plus expressive et plus belle. (....)
Mais cet attachement aux thèmes légendaires et mythologiques qui ont eu pour berceau le bassin de la méditerranée et ont ensuite rayonné, par la culture classique, dans l'univers entier, cette obsession de l'antiquité gréco-latine, ne sont-ils pas tout naturels chez Girieud? Girieud est provençal; il a respiré dès sa naissance le clair azur de cette contrée bénie que "la lumière a enfanté en souriant", dit Mistral, et qu'habitent encore les fantômes des Dieux! (....)
Quoi d'étonnant, donc, que si nombreuse soit dans son oeuvre les évocations de l'antiquité fabuleuses? les Trois Grâces, Sappho (1912), Toilette de Vénus, Léda (1913), Apollon inspirateur, Ariane (1914) et l'Après-midi Provençale et Terre Antique (1920) et l'Eloge de la Beauté nue et la Source de la Tinée (1921), dont les figures aux gestes lents, d'un dynamisme puissamment méditatif, d'une grâce forte et saine, d'une noblesse vraie, s'harmonisent si intime,net, si naturellement avec les amples formes du paysage provençal, avec la pureté du ciel provençal, sont comme les fleurs radieuses et vivaces de cette terre provençale.
Que n'ais-je la place de parler comme je le voudrais, des deux recueil lithographiques, Princesses de la Bible et de la Fable (1919), les Amours (1924), publiés par la Librairie de France dans lesquels s'affirme avec tant de maîtrise et de sincérité la persistance que met Girieud à croire que le vrai classique n'a rien à voir avec l'académisme - l'un est la vie, l'autre la mort - et à traiter des sujets que les esprits superficiels ou de parti-pris considèrent généralement comme poncifs, et qui ne sont, d'ailleurs, devenus des poncifs que par l'absence de conviction et de vie avec laquelle on les a si souvent, trop souvent traités. Cette technique de la lithographie où il excelle, Girieud l'a également employée pour illustrer l'un des chef-d'oeuvre de Paul Arène, Domnine qu'a publié l'éditeur d'art Scheur. (....)
Quelle pitié qu'après avoir donné en 1912, dans le domaine de Pradines, sur les murs de cette chapelle Saint-Pancrace où, aux côté de ses amis, de nos amis, Alfred Lombard et Georges Dufrénoy il a peint à la fresque une admirable décoration des Mages, - la preuve éclatante de ses possibilités comme peintre de grandes surfaces murales, Girieud n'ai pas encore trouvé l'occasion de se manifester avec toute l'ampleur convenable!
Ceux qui ont eu connaissance des esquisses des fresques composées par lui en 1924 pour orner les murs de la déplorablement fameuse "Cour des Métiers" de l'Exposition des Arts Décoratifs de 1925; ceux qui savent avec quelle générosité d'inspiration quelle richesse de composition et de couleur il avait mis en oeuvre les deux thèmes qui lui avaient été réservés : les Arts de la Pierre et les Arts de la Vie, ne peuvent se consoler de l'échec (dû à l'étroitesse d'esprit et à l'incompréhension, que dis-je? au mépris de toute grandeur qui caractérise les pouvoirs publics) de ce beau projet. Et des compositions comme les Transhumants, comme l'Hommage à Paul Arène ne semblent-elles pas faites, avec leur mélange de familiarité et de lyrisme, pour être traduite par les tapisseries des Gobelins ou exécutées à la fresque et décorer les murs de quelque édifice public?
Et Girieud est un portraitiste puissant, expert à fixer de virile façon, avec une rare acuité, les ressemblances intellectuelles et psychologiques, à creuser un visage, à y faire vivre la vie intérieure. Ses effigies de Georges Duhamel, du musicien Stanislas de Rohonzinski, du romancier Albert Erlande, du poète Fernand Mazade, du lumineux traducteur de Platon, Mario Meunier, les portraits que chaque année, au retour de ses campagnes estivales en Provence, il brosse d'après lui-même, sont des pages iconographiques dignes de l'avenir.
Quels sont les aspects de sa Provence bien-aimée dont Girieud a de préférence, au hasard de ses courses estivales, fixé jusqu'à présent les traits? En 1919 il travaille à Vence et à Saint-Paul du Var; en 1920 dans la vallée de la Clans; en 1923 à Lourmarin; en 1924, à Marseille, à Toulon, à Solliès-Pont, à Trets, à Tourves, à Moustiers Sainte-Marie, à Cucuron, à Saint-Tropez; en 1925, à Barjols, à Moustiers, à Gordes, à Buis-les baronnies; en 1926 à Carpentras, à Malaucène, à Sisteron, à Gréoux; en 1927, à Marseille, à Aix, à Simiane, à Forcalqier, à Lourmarin; en 1928, à Saint-Rémy, à Orgon, à Eyguière, à Maussane, à Moustiers, à Riez, à Lourmarin, à Arles.
Chacune des pages peintes par Girieud devant ces décors de nature a la précision, la vie d'un véritable portrait. Aucun détail essentiel n'est absent; tout s'organise, tout s'y ordonne dans la lumière conformément à la réalité. Aucune minutie inutile, cependant; la vision de Girieud est toujours large et forte, ses moyens d'expression toujours puissants et fermes. (....)
La dernière exposition qu'a tenu Girieud tout récemment du 7au 18 janvier 1929, dans les salles de la galerie Druet, a montré le plein épanouissement de son talent généreux. (....)
Certains paysages de Moustiers, - Lou Pastre, et le peintre devant son sujet notamment - et de Riez - qui est la pays natal de Girieud - Colonnes devant la Colline sacrée, certaines vues, comme l'on disait jadis, des Antiques de Saint-Rémy et de Lourmarin celle entre autres où Girieud a évoqué au pied du château restauré par la généreuse initiative du regretté Laurent Vibert, les grâces d'une scène antique et celle de la vallée de l'Asse, et, celle du Théâtre antique d'Arles, l'une des plus émouvante, et que l'Etat a bien fait d'acquérir pour le musée du Luxembourg, telles fleurs aussi, sans oublier les interprétations à la fois fidèle et libres qu'a tenté Girieud d'après Rubens, d'après Tintoret, d'après Cranach, nous apportaient là le témoignage de cette évolution aujourd'hui accomplie du talent de Girieud et de sa définitive maîtrise. (....)
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