Alors que Flandrin, Marquet, Dufrénoy, Puy, Laprade, Manguin, Friesz devenaient célèbres - et Matisse illustre! - Pierre Girieud, leur camarade, leur égal deviendra isolé. On ne fut pas juste pour Girieud, et je fais ici mon mea culpa de critique. Sauf Gasquet t Charles Morice, qui avaient compris cet artiste, nul n'alla le chercher en sa retraite. Nous étions trop séduits par les délices de Bonnard, et les feux d'artifice des fauves nous surprenaient. Près d'eux, mais en silence, un être cultivé, méditatif, épris des Siennois et de Gauguin, visait non à l'effet, mais à la cadence, préférait la composition ordonnée au morceau de bravoure. C'était Girieud.
Il entendait restituer à l'imagination ses droits reconnus, faisait fi de la tache et de la pochade, rêvait de fresques harmonieuses (et avec Dufrénoy et Lombard, put réaliser ce rêve aux murs d'un mécène charmant, M. Douglas Fitch, en cette chapelle de Pradines dont la décoration compte dans l'art français contemporain).
Pierre Girieud ouvrit donc la voie à ces beaux jeunes, les maîtres de demain, qui réagissent contre l'impressionnisme tout en le respectant, Angel Zaraga, André Favory, Lhote, Gabriel Fournier, Corneau; Il se souvenait que Poussin et Corot ont peuplé de divinités humaines leurs paysages stylisés. Girieud fut donc l'un des précurseur de la renaissance à laquelle nous allons assister.
Voici qu ce plasticien poète nous donne aujourd'hui à contempler une suite de douze lithographies "Princesses de la Fable et de la Bible", où l'élévation de la pensée, la noblesse du sentiment sont rehaussées par la qualité d'un dessin pur, fort et grave. Les légendes, les mythes et les symboles y sont transcrits en formes et en volumes d'un parfait équilibre. La technique du graveur est de premier ordre : les contrastes des réserves avec les noirs moelleux et les passages modulés des demi-teintes raviront le connaisseur. On peut juger à plein, d'après ces estampes, de la valeur du peintre. L'esprit orné et sagace de Pierre Girieud, sa science de coloriste et de constructeur seront-ils enfin appréciés et mis à leur rang? L'Etat a des palais à décorer, des cartons de tapisserie à distribuer. Mais tant de médiocres se sont, jusqu'à ce jour, emparés des commandes! Quand notre démocratie fera-t-elle sa place à l'artiste? |